À Bamako, le Mémorial Modibo Keïta a accueilli, le samedi 14 juin 2025, la 11e Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme. Un rendez-vous devenu vital dans un pays où l’on recense officiellement 20 621 personnes atteintes de cette condition génétique rare, réparties entre 10 137 hommes et 10 484 femmes. L’événement a été organisé par l’Association malienne de protection des personnes atteintes d’albinisme (AMPA), en partenariat avec la Jeune Chambre Internationale Mali (JCI - Étoiles), et a réuni des délégations venues de toutes les régions du pays.
Sous le thème « Revendiquer nos droits, protéger notre peau, préserver nos vies », la journée a donné lieu à un plaidoyer sans équivoque. La présidente de l’AMPA, Maïga Aminata Traoré, a lancé un appel clair aux autorités nationales : rendre accessible et gratuite la crème solaire à indice SPF 50+, indispensable à la survie des personnes atteintes d’albinisme. Elle rappelle que, pour cette population dépourvue de mélanine, la protection solaire n’est ni un luxe ni un produit cosmétique, mais un impératif de santé publique.
Cette revendication s’appuie sur une réalité connue mais souvent négligée. L’albinisme expose à un risque extrêmement élevé de cancer de la peau, surtout sous les latitudes d’Afrique subsaharienne. Au Mali comme dans de nombreux pays voisins, la majorité des décès de personnes albinos survient avant l’âge de quarante ans. La rareté et le coût des crèmes solaires adaptées aggravent cette précarité sanitaire, en faisant de la simple exposition au soleil une menace quotidienne.
Sur le plan génétique, des recherches récentes menées au Mali indiquent que la majorité des personnes concernées présentent le type OCA2 d’albinisme, suivi par OCA1 et OCA4. Une connaissance scientifique encore trop peu partagée, qui gagnerait à éclairer les politiques de santé publique en matière de prévention et de soins.
Les défis sont également sociaux. Le sénateur de la JCI Mali, Dr Bazoumana Traoré, a évoqué les discriminations spécifiques que subissent les femmes atteintes d’albinisme. Victimes de préjugés persistants, elles sont souvent exclues du mariage, marginalisées, réduites à des stéréotypes selon lesquels elles « changeraient la race ou la descendance ». Dans les écoles, les enfants albinos font face à un environnement hostile, tant par la stigmatisation que par le manque d’adaptation des conditions d’apprentissage à leurs déficiences visuelles. Nombre d’entre eux abandonnent prématurément le système éducatif, condamnés à une vie d’exclusion, exposés au soleil et au vent chaud qui accélèrent les complications dermatologiques.
Au-delà du Mali, l’albinisme reste une question critique sur l’ensemble du continent. En Afrique subsaharienne, la prévalence varie entre une naissance sur 5 000 à 15 000, un taux nettement plus élevé qu’ailleurs dans le monde. Ces populations font l’objet de nombreuses violences : meurtres rituels, mutilations, enlèvements. Depuis 2009, plus de 700 agressions ont été recensées en Afrique, dont plusieurs cas au Mali, bien que sous-déclarés. Ces violences s’ajoutent à une mort lente, silencieuse, causée par l’indifférence ou le manque d’accès à la protection solaire.
La cérémonie, sobre mais symboliquement forte, a aussi donné lieu à des jeux pour les enfants albinos, des discussions sur le handicap, et une action de solidarité avec la distribution gratuite de crèmes solaires SPF 50+. Pour Maïga Aminata Traoré, cette action ne doit plus rester exceptionnelle. Elle plaide pour que la crème solaire figure sur la liste nationale des médicaments essentiels, rejoignant ainsi les recommandations de plusieurs organisations internationales. À ses yeux, il est temps de traduire les discours en actes, de reconnaître pleinement les 20 621 citoyens albinos du Mali comme des sujets de droit, et non comme des survivants oubliés.
D’autres actions de plaidoyer sont déjà en cours, portées par l’AMPA et ses partenaires, en direction du gouvernement, des collectivités, des bailleurs et des professionnels de santé. La voix de cette communauté s’élève avec une force tranquille, mais avec une urgence que nul ne peut ignorer.